Franc Bodin est professeur documentaliste, aujourd’hui directeur par intérim de l’Atelier Canopé du Val-de-Marne, les pratiques numériques sont depuis de nombreuses années au coeur de ses interventions et de ses réflexions pédagogiques.
L’Atelier Canopé du Val-de-Marne propose à la communauté éducative du département et plus largement à celle de l’académie de Créteil un catalogue de formation intitulé “Humanités numériques et littératie : compétences transversales pour comprendre, apprendre et agir“. Ce document formalise le projet développé par l’équipe des formateurs de l’Atelier Canopé en direction des enseignants.
A l’heure où le numérique est devenu l’espace privilégié de convergence et de diffusion des savoirs, il est primordial que les acteurs du monde éducatif développent des compétences en littératies médiatiques et numériques, propres aux nouvelles exigences de leur profession. Un tel travail requiert notamment d’investir les environnements numériques comme des espaces contemporains de recherche et d’exercice pédagogique. Ces constats coïncident en partie avec les conclusions du rapport Jules Ferry 3.0 publié par le Conseil National du Numérique en 2014 qui appelle à l’intégration des humanités numériques à l’école.
Afin de documenter la réflexion académique autour des apports des DH à l’École, nous proposons une chronologie des humanités numériques. Ce travail a pour objectif de mettre en perspective les apports successifs des technologies du texte et des travaux scientifiques qui les accompagnent avec le projet humaniste au fondement de l’École. Le parcours proposé s’appuie sur les travaux de Milad Doueihi, Aurélien Berra, Olivier le Deuff et sur l’expertise bienveillante d’Elie Allouche.
Quand les humanités deviennent numériques
Proposition de généalogie des humanités numériques inspirée par Milad Doueihi, Aurélien Berra et Elie Allouche.
Signalons également la publication d’Aurélien Berra « Pour une histoire des humanités numériques » in Critique, 8/2015 (n° 819-820), p. 613-626, librement accessible sur Cairn.
XIVeme siècle : le courant humaniste apparaît dans l’Europe de la Renaissance
Pétrarque (1304–1374) commence par recueillir les inscriptions sur les vieilles pierres de Rome et poursuit dans les manuscrits sa quête des Anciens. Il retrouve des lettres de Cicéron et préconise l’étude philologique des textes et le retour à la pureté classique.
Sa notoriété de poète et d’homme de lettres et ses contacts avec la Curie lui permettent de rencontrer les érudits, lettrés et savants qui se rendaient dans la cité papale. Né en Italie durant le Trecento, le courant humaniste rayonne et se diffuse rapidement dans toute l’Europe de la Renaissance avec l’invention de l’imprimerie qui jouera un rôle clé dans la diffusion des idées humanistes.
23 février 1455. La Bible de Gutenberg ou « Bible latine à quarante-deux lignes » (B42) est le premier livre imprimé en Europe à l’aide de caractères mobiles.
Gutenberg est à l’origine de nombreuses innovations qui permettent la mise au point de la presse à imprimer :
- Un alliage à base de plomb, d’étain et d’antimoine qui a la particularité de fondre facilement et de ne pas se déformer en refroidissant ;
- Un moule à fondre à la main, avec une matrice en négatif du caractère ;
- La casse de composition ;
- L’amélioration de la presse d’imprimeur existante, ou presse xylographique ;
- Une encre très forte comme de la glu, qui ne «poche» pas sur la feuille.
1751. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers
L’Encyclopédie représente un nouveau rapport au savoir. “ Elle marque la fin d’une culture basée sur l’érudition (…) au profit d’une culture dynamique tournée vers l’activité des hommes et leurs entreprises “ Madeleine Pinault, L’Encyclopédie, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1993, p. 11.
1895. Création de l’Office international de bibliographie par Paul Otlet et Henri La Fontaine
La première conférence international de bibliographie crée l’Office International de Bibliographie dont l’objectif est de réunir l’ensemble de la connaissance humaine par la constitution du Répertoire Bibliographique Universel.
1945. Von Neumann et Turing posent les fondements de l’informatique
Turing pose les fondements théoriques de ce qui sépare la machine à calculer de l’ordinateur : la capacité de ce dernier à réaliser un calcul en utilisant un algorithme conditionnel.
1945. Article de Vannevar Bush “As we may think”
La première description du concept d’hypertexte est probablement due à Vannevar Bush. En 1945, dans un article du Atlantic Monthly intitulé « As We May Think », il décrit un bureau électromécanique futuriste appelé Memex pour (MEmory EXtender)
1948. Article de Shannon fondant la théorie de l’information
la théorie de l’information de Shannon, qui est une théorie probabiliste permettant de quantifier le contenu moyen en information d’un ensemble de messages, dont le codage informatique satisfait une distribution statistique précise.
1948 Index Thomisticuas de Roberto Busa
Roberto Busa est pionnier dans l’utilisation de l’ordinateur pour l’analyse linguistique et littéraire. Il est l’auteur de l’Index thomisticus, une lemmatisation complète des œuvres de Thomas d’Aquin.
1950. Computing Machinery and Intelligence par Alan Turing
Computing Machinery and Intelligence, écrit par Alan Turing et publié en 1950, est un article fondamental sur le thème de l’intelligence artificielle. Le but de cet ouvrage est de pouvoir remplacer la traditionnelle question les machines peuvent-elles penser ?, par une autre : un ordinateur digital peut-il tenir la place d’un être humain dans le jeu de l’imitation?
Septembre 1966. Premier numéro de la revue “Computers and the Humanities”
L’éditeur scientifique américain Springer publiera la revue jusqu’en 2004.
1972. Thesaurus Linguae Graecae
Le Thesaurus Linguae Graecae (TLG) est un centre de recherche à l’Université de Californie à Irvine consacré à la réalisation d’une base de données du même nom regroupant l’ensemble des textes écrits en grec depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, sous la forme d’une bibliothèque digitale.
1973. Création de l’Association for Literary and Linguistic Computing
L’association fondée à Londres change de nom en 2012. Elle existe aujourd’hui en temps que The European Association for Digital Humanities
1978. Naissance de l’Association for Computers and the Humanities
L’ACH est la première organisation professionnelle travaillant sur le terrain des Humanités Numériques
1986. Premier numéro de la revue Literary and Linguistic Computing
Fondée à Oxford, la revue porte aujourd’hui le nom de Digital Scholarship in the Humanities
1987. Text Encoding Initiative
La TEI, ou Text Encoding Initiative (initiative pour l’encodage du texte) est une communauté académique internationale dans le champ des humanités numériques visant à définir des recommandations pour l’encodage de documents textuels. Depuis 1987, le modèle théorique s’est adapté à différentes technologies, d’abord sous la forme d’une DTD, SGML, puis XML.
1987. Wilard McCarty ouvre la liste de discussion électronique Humanist Discussion Groupe
Les archives de liste sont accessible via le site http://dhhumanist.org/
1989 / 1993. Création du Web
inventé par Tim Berners-Lee et Robert Cailliau plusieurs années après Internet, le World Wide Web (WWW), littéralement la « toile mondiale », est un système hypertexte public fonctionnant sur Internet.
1990. Mise en ligne de La Bryn Mawr Classical Review (BMCR)
La Bryn Mawr Classical Review (BMCR) est une revue savante en ligne américaine diffusée en accès libre sur Internet, créée en 1990 par une équipe du Bryn Mawr College, situé à Bryn Mawr, Pennsylvanie. C’est l’une des plus anciennes revues en ligne consacrée aux humanités classiques.
2004. Publication de Companion to Digital Humanities
Publiée sous la direction de Susan Schreibman, Ray Siemens et John Unsworth de l’Université d’Oxford cette collection convoque des des spécialistes issus de différents horizons et fonde les Humanités Numériques en tant qu’objet scientifique.
2004/2005. Création du Web 2.0
Cette évolution du Web concerne en particulier les interfaces et les échanges permettant aux internautes ayant peu de connaissances techniques de s’approprier de nouvelles fonctionnalités. Les internautes peuvent contribuer à l’échange d’informations et interagir (partager, échanger, etc.) de façon simple, à la fois au niveau du contenu et de la structure des pages, et d’autre part entre eux, en participant notamment au Web social. Chacun devient, grâce aux outils mis à sa disposition, une personne active sur la toile.
2005. Alliance of Digital Humanities Organizations
Organisation regroupant l’European Association for Digital Humanities (EADH), l’Association for Computers and the Humanities (ACH), la Canadian Society for Digital Humanities (CSDH/SCHN), centerNet, the Australasian Association for Digital Humanities (aaDH), et la Japanese Association for Digital Humanities (JADH).
2006. Création de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI)
Sous l’impulsion du philosophe Bernard Stiegler et de Vincent Puig, le Centre Pompidou crée en son sein l’Institut de recherche et d’innovation (IRI) pour anticiper les mutations des pratiques culturelles permises par les technologies numériques. En août 2008, l’IRI a acquis un statut d’association de recherche autonome cofondée par le Centre Pompidou.
2007. Création du Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo)
Le Cléo est une Unité mixte de services du CNRS, de l’Université d’Aix-Marseille, de l’EHESS et de l’Université d’Avignon. Il inscrit son action dans le cadre de la Bibliothèque scientifique numérique, initiative du Ministère de la Recherche français http://www.bibliothequescientifiquenumerique.fr/.
2008. Premier ThatCamp
Un THATCamp est une réunion ouverte, peu coûteuse, où les humanistes et les technologues de tous les niveaux de toutes compétences se retrouvent pour apprendre et construire ensemble lors de séances de travail proposées sur place.
2009. The Digital Humanities Manifesto par Jeffrey Schnapp
Professeur à l’université d’Harvard Jeffrey Schnapp est à l’origine d’un renouveau des Humanités Numériques, formalisé dans le premier manifeste des Humanités Numériques.
2010. Rédaction Manifeste ThatCamp des Digital Humanities à Paris
Avec le soutien du Cléo et du Campus Condorcet, des observateurs et des acteurs des Humanités Numériques se réunissent à Paris et aboutissent au premier manifeste français des Humanités Numériques pour réfléchir à ce que sont les Digital Humanities et tenter d’imaginer, d’inventer ce qu’elles pourraient devenir.
2014. Création d’Humanistica
Humanistica est une association sans but lucratif dont le siège se trouve à Bruxelles. Elle se fixe pour mission de promouvoir les Humanités Numériques francophones.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Franck Bodin (29 novembre 2016). Chronologie des humanités numériques. DLIS. Consulté le 16 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/nsz9
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